Novembre 2012 : Récit de ma mission en Inde, par Jean-Baptise Planson.

Tout commence le 15 novembre 2012 lorsque la porte de l’avion s’ouvre et que, ne sachant encore où j’ai mis les pieds, je découvre un paysage plutôt pollué, humide et… très chaud.

Une semaine auparavant, j’étais en formation avec les Missions Étrangères de Paris. Tout cela me parait déjà bien loin et l’aventure commence avec un peu d’appréhension. Je ne peux m’empêcher de me demander dans quoi ai-je bien pu encore me lancer!

Quel contraste avec Paris où il fait très froid ! Je ressens fortement la chaleur et la lourdeur de l’air. En bas de l’escalier d’embarquement, je prends pour la première fois un transport indien : des portes bloquées, le ventilateur cassé, des puces sur la moquette et une organisation dirons-nous très indienne pour ramasser les passagers. Passé le moment de récupérer nos bagages ainsi que l’interminable passage à la douane et… me voilà enfin arrivé ! 

Je me dirige vers la sortie, cherchant à imaginer à quoi ressembleraient Bapi, Raja et le frère François-Marie avec qui je vais vivre cette mission. Je n’ai pas de mal à les reconnaître. Le père arbore sa bure et tous arborent un grand et franc sourire. C’est un sourire très chaleureux qui me met tout de suite des plus à l’aise.

Raja et Bapi me remettent un magnifique collier de fleurs. Après les avoir salué à l’indienne, « Namaschkar », nous partons chercher un taxi où Bapi et Raja nous négocient un bon prix. Autant que je me rappelle, ce ne fut pas une tâche facile avec la présence de deux « blancs » !

Je charge mon sac directement dans le coffre de ce taxi qui ressemble aux vieilles Simca, sur la roue de secours. C’est alors que j’ai eu une longue discussion avec le Frère François-Marie sur le déroulement de ma mission. Il me faut emmagasiner beaucoup d’informations car il doit rentrer dans quelques jours en France.

Le taxi frôle passants, rickshaws et autres voitures de quelques centimètres sans jamais les toucher, j'en suis quitte pour de belles frayeurs. Elles viennent s’ajouter à mes toutes premières visions de l’Inde.

Arrivée à l’aéroport, un chien mort sur le pavé. Plus loin, une femme montant sur un tas d’ordures avec un visage d’une grande maigreur. Des odeurs très fortes, des zones de bidonvilles où des enfants courraient nus parmi les détritus. Que de la pauvreté.

Le trajet passe rapidement, je me sens très à l’aise avec le Frère mais la fatigue du voyage commence vraiment à se faire ressentir. Je descends du taxi, devant ce monde qui m’est complètement étranger et je ressens alors un mélange de fascination et d’inquiétude. Que fais-je donc ici ?

Après un petit-déjeuner à l’européenne avec le Frère François-Marie à peaufiner le déroulement de ma mission, de mon travail ici à Calcutta, il me propose de me reposer pour rattraper mon sommeil et effacer la fatigue du décalage horaire.

Installé sur un matelas de fortune aussi épais qu’une couette, dans la chapelle, j’essaie difficilement de m’endormir. En effet, toutes ces images depuis mon arrivée à l’aéroport, ce monde nouveau, m’occupe l’esprit. Que vais-je découvrir ? Comment est-ce dehors ? Qui sont Raja et Bapi ? Comment est le bidonville ?

Pour le repas du midi comme pour celui du soir, m’est servi le plat auquel j’aurais droit tous les jours par la suite. Au début, je trouvais cela plutôt bon mais après un mois, ce fut assez difficile à supporter. C’était du riz fade accompagné d’une sauce au curry censée lui donner du goût… Pour tout dire, à la fin de ma mission, j’avais perdu pas moins de 5 kg.

Le lendemain matin, le frère François-Marie m’emmène dans le bidonville afin de me présenter aux familles.

Ma représentation du bidonville fait que je m’attends à rencontrer des gens vivant dans des conditions déshumanisantes, parmi les détritus, très sales et avec des odeurs insupportables. Je suis bien surpris quand nous franchissons le pont ; les odeurs ne sont pas si fortes en définitif. Nous prenons la première rangée d’habitation sur la droite de la route.

Là, vivent des familles du Bangladesh dont les enfants crient « bundou bundou » (« ami ami » en Bengali) au Père. Ils sont nus pour la plupart mais relativement propres. Il y a aussi les adultes, qui à mon grand étonnement sont bien habillés et très propres ; tous nous sourient. C’est leur sourire qui me marque le plus. Tous ces gens vivent parmi les détritus, dans des cabanes bricolées, parmi les mouches, rats et autres vermines, ils ne possèdent rien mais ils me sourient. Pas d’un simple sourire de politesse ni d’un sourire pour dire bonjour, mais d’un large sourire franc qui vient du cœur. Ces gens n’ont rien, ils sont heureux et ils le communiquent. D’ailleurs, le peu qu’ils ont, ils le partagent : du thé, un café, même un repas (que, de grâce, je réussis à éviter). Les enfants m’entourent et très rapidement me voilà présenté à toutes les familles…

Les jours qui suivent sont un peu difficile dans le bidonville, je suis tout de même un inconnu. Je dois faire ma place.

Au début, sans être rejeté, on ne me réserve pas le meilleur des accueils. Des enfants tentent même de me faire les poches, sans succès. Mais progressivement, à revenir tous les matins, à aller vers eux et leur sourire, leur donner des soins, ils m’adoptent.

Au bout d’une semaine, on me salue, m’attend, vient me voir. C’est la deuxième chose qui m’a le plus marqué, la confiance qu’ils m’accordent… Ces gens ne me connaissent pas et tout ce qu’ils ont, ils m’offrent leur confiance…

Durant cette mission je soigne des toux, des problèmes d’estomac, des douleurs musculaires, des otites purulentes des blessures parfois impressionnantes, de la coupure à l’abcès, des brûlures, aphtes, des problèmes de peau en tout genre. Ils me confient leurs blessures en toute confiance.

La troisième plus grande joie, c’est de voir nos efforts qui jour après jour payent : ces gens guérissent progressivement, même des enfants brûlés au 3e degré retrouvent au fur et à mesure une peau presque normale.

Bien sûr, la mission n’est pas toujours facile, parfois on est vite assailli par les gens qui demandent des soins, entouré d’une vingtaine de personne qui te tapent sur l’épaule au cri de « beta bundou, beta bundou » (« j’ai mal l’ami, j’ai mal »). On est parfois littéralement assailli malgré les deux équipes que nous formons avec Julien, un autre volontaire français qui m’a rejoint une semaine après, Bapi et Raja. Comment répondre à toutes ces demandes ?

Il y a aussi ceux qui essayent d’avoir des médicaments alors qu’ils n’en ont pas besoin, probablement pour les revendre. Ils pouvaient être agressifs. Et puis toute la misère qu’est la drogue, la maltraitance des enfants, l’alcool, la prostitution…

On doit garder une bonne forme physique pour ne pas attraper les maladies qui traînent dans le bidonville et dormir suffisamment, en faisant d’indispensables siestes en début d’après-midi.

Ma santé d’Européen fut mise à rude épreuve. J’ai eu de la fièvre, une toux persistante et je suis aussi fortement tombé malade en consommant par mégarde de l’eau polluée. Cela a été une dure épreuve ! J’ai été cloué au lit pendant une semaine avec des symptômes très impressionnants : ventre gonflé, sensation d’être gelé alors que j’étais brûlant, perte de sensibilité des membres inférieurs, vomissements (serait-ce la Typhoïde ?)… Heureusement que le Frère et Julien étaient là ! En une semaine j’étais guéri et me suis encore plus méfié de l’eau qu’avant. Ma guérison est assez miraculeuse et je tiens à remercier le Frère et les sœurs qui ont prié pour moi.

Au fur à mesure de ma mission, je m’améliore dans les soins et dans l’approche des personnes (j’avais déjà quelques notions et expériences des soins car pratiquant le scoutisme, je suis titulaire de l’AFPS ; PSC1).

J’apprends quelques rudiments de Bengali, indispensable pour avoir un minimum de contact avec les habitants que je soigne dans le bidonville. Je découvre le prix de la vie en Inde, la culture indienne, les mentalités locales.

Également, je bénéficie grâce à Daniel, un ami de l’association, de la découverte de Calcutta. Les visites organisées, mais aussi sa connaissance de l’histoire et de la culture indienne m’ont énormément apporté.

Je découvre la diversité de la mission. Nous avons, avec Julien, une grande autonomie. Frère François-Marie nous accorde toute sa confiance ce qui rend la mission encore plus intéressante. Nous gérons les comptes, les dispensaires, nous devons aussi parfois emmener des personnes à l’hôpital et organiser des programmes. Ce sont ces deux derniers points que je vais développer.

La première fois que je suis allé à l’hôpital, ce fut pour y amener Didi Ma, une grand-mère qui vivait sur le quai 9B. J’y suis allé à plusieurs reprises avec Bapi. Si les hôpitaux sont gratuits ce n’est pas pour autant que les gens du bidonville y vont d’eux même… Il y règne un chaos dans l’organisation, un manque d’information pour s’orienter ; des médecins qui n’informent pas les patients et surtout une grande crasse… Dans certaines salles, on a au sol des compresses de sang, des poches d’urines, de la nourriture et j’en passe… J’étais heureux de ne pas avoir à y aller pour me faire soigner.

L’événement que nous avons organisé qui m’a le plus marqué fut le jour de Noël… Avant de partir j’imaginais que la fête de Noël serait un moment difficile loin de ma famille et de mes proches. J’ai très vite réalisé le jour du 24 que ma place était là-bas parmi les pauvres. Nous sommes allés avec le Frère François-Marie chercher des enfants, principalement les plus petits, ainsi que quelques grands pour Noël. Je me rappelle de leurs sourires et de leur joie à l’idée de sortir un peu du bidonville et de leur quotidien. Nous sommes allés chez des sœurs qui mettaient à notre disposition l’école (les élèves étaient alors en vacances). Je portais deux enfants sans doute les plus jeunes sur la hanche et tenais la main d’un autre. Arrivés sur place nous avons prié avec le Frère qui nous a parlé de Noël et de l’enfant Jésus : nous avons tous récité une prière. Après, nous avons fait quelques jeux (notamment le jeu du béret) qui fut un grand succès. Enfin, nous avons partagé un goûter et, déguisé en Père Noël, j’ai distribué les cadeaux que nous avions confectionnés avec Bapi auparavant. C’était de petits lots : vêtements, peignes, brosses à dent, petites voitures…

Voilà les principales joies de ma mission, je pourrai m’étendre sur bien d’autres choses, il y a tant à dire. Mais il y a aussi beaucoup de choses que l’on ne peut pas décrire… Il y en a cependant une toute particulière sur laquelle je voulais terminer qui m’a beaucoup marqué, ce fut précisément le 12 décembre 2012, un jour merveilleux.

Nous sommes partis, avec Julien et le frère François-Marie, tôt par le train à 40 km au nord de Calcutta. Nous avons ensuite pris un bus pour terminer à pieds sur un chemin de terre dans un village rural. Je n’ai jamais autant apprécié le calme, cela me changeait de Calcutta, je me rappelle m’être fait cette remarque-là. Notre ouïe n’était plus attaquée par tous les bruits de klaxon, voitures et cris en tous genres. Il n’y avait aucune odeur désagréable, nous respirions pleinement. Ça sentait la terre mouillée car il avait plu, on entendait les oiseaux, il y avait aussi des vaches, des chèvres, des arbres, plein d’arbres et des rizières à perte de vue.

Puis nous sommes arrivés à un grand portail où l’on nous a accueillis. Nous sommes accompagnés dans une grande propriété avec des maisons en terre et des toits en chaume. C’est magnifique, il y a des étangs, des rizières, des cocotiers, quelques chèvres, du coton, des haricots…

Enfin, nous arrivons sur une île, sorte de grand terrain entouré d’un fossé, on passe un pont puis un portail où l’on peut lire cette inscription qui m’est resté « Island of Peace ». Passée cette porte, nous nous trouvons vite entourée de tout un monde ; enfants, adultes, un sourd muet gémit en me tirant par le bras, des gens handicapés, tuberculeux, un enfant dont le corps et le visage semblent torturés par les séquelles d’une enfance trop difficile, et me crie « money, money » (« argent, argent ») en me tendant sa main, « money money!! ». Il a des griffures sur le cou qu’il semble s’être infligé lui-même, traumatisme d’une autre vie… Certains peuvent faire peur à voir à première vue, seulement très vite on s’aperçoit de quelque chose de tout à fait différent : tous nous sourient de ce grand et large sourire de bonheur, un sourire plein d’amour chaleureux et pénétrant ; tous vivent ici, c’est une grande famille, l’intouchable rejeté de tous est apprécié et aimé, il aide l’handicapé à se relever, le tuberculeux prend soin de l’enfant fou, l’enfant arraché des mains d’un gang aide le sourd muet… c’est magnifique!

À ce moment sort une personne rayonnante d’une de ces petites maisons, un vieil homme aux cheveux blanc et yeux bleus, une canne à la main et un grand sourire. Il vient à notre rencontre, c’est Frère Gaston, Gaston Grand Jean, un des héros de la cité de la joie, ami de Dominique Lapierre. Il nous invite à prendre un thé, des enfants nous accompagnent et il nous parle.

Frère Gaston a choisi de consacrer sa vie aux pauvres et aux délaissés il a choisi de disparaître plutôt que de s’exposer pour se rapprocher de ces gens que personne ne voit en Inde, dont personne ne veut entendre parler (ici, malheur à une femme enceinte qui voit un handicapé ou un fou, son fils le deviendra !).

Plutôt que de fonder un de ces grands centres anonymes où l’on « case » tous ces gens dans de grands bâtiments en béton armé, il a fondé cette grande famille. Il accueille tous les délaissés de cette société où chacun aide l’autre et l’accompagne dans un cadre merveilleux, celui de Dieu : la nature. Il leur donne tout son amour.

On sort, il nous accompagne et nous raconte cet endroit. Cela fait seulement huit ans qu’il a été créé, il en a créé bien d’autres, et pourtant ici tout est hors du temps, on croirait que cela existe depuis des dizaines d’années alors que ce n’était au départ qu’un terrain marécageux. On découvre qu’il y a plus de 200 personnes ici. Il tient bon malgré son âge, toutes les difficultés et les personnes qui vont à l’encontre de son association. Il nous parle avec une grande simplicité, beaucoup d’amour, rit avec les enfants et partage tout avec sa communauté.

Je me souviens être ressorti bouche bée de cet endroit, c’était magnifique. Tout comme la mission à Calcutta, il n’y a pas de plus grand amour que de donner tout ce que l’on a.

Ces quelques lignes sur ma mission sont très réductrices, il y a tant de chose à dire encore une fois mais beaucoup ne peuvent pas se raconter, il faut les vivre. Comme disait Mère Teresa : « Come and see » (« Viens et vois »).

 

 

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